maume-annie


Annie Maume (1943-)
Robert Héraud (1924-2010)


Annie Maume, céramiste sculpteur
Robert Héraud, peintre céramiste
annie maume

Un tandem artistique au coeur de Sancerre

La céramique dans la peau
Née à Paray le Monial (Saône et Loire) en 1943, Annie Maume a dans son ADN les gènes de la céramique. 
Chez les ‘Corneau, depuis 1637, ce sont cinq générations d’hommes et femmes qui travaillent la terre du Puisaye, Annie est la quarantième de cette grande famille de potiers.
Son père, Jean Maume (1911-1968), est orphelin à l’âge de quinze ans. En 1927, pour subvenir aux besoins de sa mère et son frère et sa sœur, il quitte l’école pour travailler dans une fabrique de poterie. Il est tourneur à Myennes puis à Saint-Amand en Puisaye chez ‘Capi Normand’.

Jean exerce le métier pendant une quinzaine d’année, avant de devenir cheminot à la SCNF. A sa retraite, il a le projet de refaire de la céramique avec sa fille. 

Après des études de gestion, dès 1961, Annie travaille en tant que secrétaire comptable dans le Loiret. La jeune femme vive et joyeuse s’ennuie dans les bureaux, au milieu des papiers et les chiffres. Aussi, souhaite-elle changer de voie et apprendre avec son père la poterie, qui collait si bien à la peau de ses ancêtres. 

Malheureusement, tombant gravement malade, Jean ne peut pas transmettre à sa fille la technique de cet art. Avant son décès en 1968,  il a eu le plaisir de rencontrer Robert Héraud, et de savoir qu' il  formera Annie à la céramique.  
Annie Maume Corneau

La terre en couleur de Sancerre
Robert Héraud est né au cœur de Sancerre en 1924. Depuis son plus âge, il peint et c’est tout naturellement qu’il fait de sa passion son métier. 

L’attachement à sa région natale le conduit à rencontrer les artisans potiers du Puisaye et de la Borne. Artiste dans l’âme, son intérêt pour cette terre bordée de forêts et riche en argile, l’amène à tenter l’aventure céramique. Il se forme au tournage chez Armand Bedu

Connaissant les colorants de peinture, Robert décide apprendre en autodidacte les émaux à travers quelques livres (rares à l’époque) et en expérimentant de manière empirique, mémorisant sur un carnet les résultats de chaque recette chimique. Rigoureux, persévérant et appliqué, l’homme apprend à maitriser l’alchimie des pigments et les caprices de la cuisson. 
robert heraud
En 1951, Robert transforme le magasin de bazar, hérité de ses parents en une galerie d’art (place Sancerre). 

Dans ce lieu, il expose ses propres peintures, de la tapisserie, du mobilier design scandinave et les pièces de céramistes de la Borne et du Puisaye, citons entre autre son grand ami Vassil Ivanoff, le couple Lerat, André Rozay, Elisabeth Joulia, Pierre Mestre, Yves Mohy … 
robert heraud
Annie Maume, a juste dix-neuf ans quand elle visite avec une amie la galerie de Robert. Elle est séduite par les œuvres picturales et la personnalité du ‘grand homme barbu’, son ainé de 19 ans. Quatre ans plus tard, en 1966, Annie s’installe avec Robert, alors divorcé, et commence son apprentissage de la céramique. 

Un atelier-maison ‘bien pensé’ pour travailler et vivre heureux 
Sur les hauteurs des vignobles de Guigne-Chèvres, face au village de Sancerre, Robert Héraud avait établi un petit atelier de poterie, qui ,au fil des années, s’agrandissait et se dotait d’ingéniosité. 

Dixit Annie: ‘Robert aimait que les choses soient bien faites, il pensait à l’organisation et aux moyens nécessaires pour faire de belles pièces dans de bonnes conditions.’  
En 1962, Michel Anasse l’assiste dans la mise en œuvre de la construction d’un four à bois (fermé par une porte en métal) par des artisans locaux. Il faut préciser que certains habitants des bourgs voisins ne voyaient pas d’un bon œil la venue du peintre-galeriste, qui voulait aussi faire de la céramique en dehors des villages de potiers ! 

Mais cela ne décourage en rien Robert, ancien résistant très actif durant la second guerre. (D’ailleurs, dès 1964, il exposera ses pièces céramiques à Bourges au Musée du Berry et à Paris au musée des Arts et Traditions populaires, exposition ‘Les potiers du Haut-Berry’).
Robert avait pensé le lieu pour que Annie et lui puissent travailler efficacement : dans la salle de tournage équipée de nombreux rayonnages, chacun avait son propre tour enterré afin d’y accéder plus facilement. Dans l’atelier de calibrage, un bras mécanique descendait dans le moule pour calibrer des coupes qui pouvaient alors s’empiler. Pour l’émaillage, la salle présentait des bancs et une large collection d’émaux. 

Un four à gaz 'Scandia' avec une transpalette viendra compléter le four à bois.
robert heraud
robert heraud
Pour Annie, chaque défournement était une naissance : 
‘ C’était toujours différent. Quand il y avait une belle pièce, on s’embrassait. Avec le temps Robert me dit : on doit faire des trucs moches parce qu’on ne s’embrasse plus. Et on riait.’ 

La lumière au cœur de l’œuvre picturale de Robert Héraud
La couleur et la lumière sont au cœur de l’œuvre picturale de Robert Héraud. S’il a réalisé quelques dessins, ses peintures de grand format sont exécutées essentiellement à l’huile, parfois à la gouache, et ceci à partir de pochardes colorées.
Au début, Robert a réalisé des tableaux figuratifs expressifs représentant la nature (saule de la Vauvise près de Sancerre, neige à Sancerre, .. ), les villages de sa région, les marchés de Provence, les marines de Bretagne et des scènes de vie du pourtour méditerranéen de l’Espagne et du Portugal, où le couple aimait passer les vacances. Robert, qui ne jouait pas d’instruments de musique, adorait la contrebasse, ses toiles sur les musiciens renvoient au rythme du jazz. 
De sa peinture, il se dégage  une force, une énergie vivante qui suscite l’émotion. L’influence de Cézanne se ressent par la succession de traits et de lignes disjointes et le jeu du clair-obcur des touches juxtaposées de couleur. 
Avec les années, Robert s’éloigne du motif, l’abstraction prend le pas avec une vitalité saturée en couleur. 

Le succès est rendez-vous : les toiles de Robert Héraud sont exposées au Japon (Tokoy, Osaka, Yokohama, 1974, Le Berry au Japon), au Salon d’Automne au Grand Palais (Paris, 1981-82-85-86-87-91) et au Palais Ducal (Nevers, 1991). 

Deux rétrospectives de son œuvre ont été organisées en juin 2012 au musée municipal Gautron du Coudray ("Promenades et autres pas") et en juin 2021 à Sancerre.

La céramique en conteuse d'histoires du terroir berrichon
Si Annie Maume a peint quelques toiles abstraites, son cœur est à la céramique. Elle aime travailler en modelage ou à la plaque tandis que Robert préfère le tournage du grès et de la porcelaine. 
Dans l’atelier commun, chacun aborde la forme et l’espace selon sa propre conception, son propre vocabulaire. Leur production, constituée de pièces utilitaires et de sculptures, est libre de toute influence artistique que ce soit celle de leurs voisins bornois ou des méridionaux de Vallauris et Perpignan. 
En maître des émaux, s’attachant à explorer la couleur et les textures, Robert imagine des pièces poétiques qui apportent un sentiment de zénitude. L’esprit japonisant s’apprécie dans les galets et les vases en grès ou en porcelaine.
Annie, elle s’amuse à sculpter un bestiaire heureux, teinté d’humour et de tendresse : les oiseaux fantastiques sont rois sous l’œil observateur de chats malicieux, de grenouilles sautillantes, de tortues affalées, de vaches fofolles … Se joignent à la fanfare animalière des contrebassistes, si appréciés par Robert. 
annie maume
Chez la jeune femme, les thèmes de la famille et de la maternité sont récurrents : le couple est en ‘arche’, enlacé, accolé et même fusionnel au sens premier du mot. 

La famille est zoomorphe (tribu de hibou, famille Aristochat, mère et son bébé manchot …) ou anthropomorphe sous le signe de la bienveillance (famille réunie, vierge à l’enfant …). 
annie maume
Dans un registre plus régionale, Annie rend hommage au monde agricole et aux traditions du terroir berrichon : citons la sculpture de Saint Vincent patron des Vignerons et les bas-reliefs en grès réalisés de 1970 à 1990( ‘Collines’, ‘Les coqs’, ‘Tango’…). La sculpture murale ‘L’agriculture à travers les âges’, œuvre monumentale de 3 sur 2 mètres, (commandée par un groupement d’agriculteurs dont le bâtiment était en forme de graine ( aujourd’hui démontée en attente d’une installation au musée de Bourges)) témoigne de l’attachement d’Annie à sa ‘campagne’ et sa ‘culture’. 
Sa contrée, autrefois appelée royaume de l’Ours, serait un foyer historique de la sorcellerie française.
Au XIIIe siècle, le pouvoir surnaturel est lié à la puissance de Dieu, aussi la sorcellerie est vue d’un mauvais œil par les ecclésiastes, qui persécuteront dès le siècle suivant les hérétiques.
annie maume
annie maume
Dans le folklore berrichon, les histoires locales regorgent de superstitions, de magie noire avec des lutins, des fantômes, des meneurs de loup et de célèbres procès en sorcellerie. 

Annie joue de cette terre riche d’imaginaire. Selon son humeur, elle modèle des drôles oiseaux nocturnes qu’elle nomme les ‘zombies’, des birettes (spectre portant une chemise ou selon les légendes une peau de sanglier ou de loup) et des guerriers anti-inquisitions. 

Avec humour, les sculptures et les bas-reliefs d'Annie Maume sont capables de sortir la grisaille de notre esprit, pour nous ramener à l’époque où enfants libres, nous nous contions des histoires qui font peur. 
annie maume
annie maume

Une œuvre diversifiée à re-découvrir
L’œuvre céramique de Robert Héraud et celle d'Annie Maume est encore peu connue du public. 

Et pour cause, le couple est discret, indépendant et Robert avait sa propre galerie d'art de 1951 à 2009, au coeur de Sancerre. Le succès était au rendez-vous avec les touristes de passage dans les vignobles sancerrois et les galeristes français et étrangers (avec même une galerie au Liechtenstein !) qui venaient directement acheter à la boutique. 

Citons entre autre la galerie Artisanat Réalité (Paris) qui a exposé les pièces de Annie et Robert de 1972 à 1985. Pour le vingtième anniversaire de cette galerie, une grande exposition est organisée sélectionnant 20 artistes dont Annie Maume, Robert Héraud,  Robert Deblander, Philippe Dubuc, Mireille Moser, Jean Girel, Marc Uzan, Brigitte Pénicaud ... 

Citons aussi les expositions personnelles à la galerie ‘Septentrion’ (Marq-en-Baroeul,1983), au Centre culturel d’Augbourg (1984), au château de Trousse-Barrière (Briare, 1986) et le premier prix des Métiers d’Art (Orléans, 1987) pour un bas-relief.

Annie Maume et Robert Héraud se sont peu déplacés pour présenter leur production ( salon des Ateliers d'Art 1981, Nevers 1973, 1979, 1991, Bourges 1982),  pourtant leurs pièces ont voyagé jusqu’au Japon (1974), en passant par l'Allemagne et le Danemark (Copenhague,1967).  

Leur œuvre respective de qualité, sincère et touchante reste à découvrir. Elle réserve de belles surprises à venir.
Voir plus de pièces

Je remercie Annie Maume pour ses sympathiques accueils  et pour le partage des photographies.

Texte © Christine Lavenu  25/04/2024,  Photographies © Christine Lavenu
Conformément à l’article L122-5 du Code de propriété intellectuelle, la personne qui reproduit, copie ou publie le contenu protégé doit citer l’auteur et sa source.

Sources, pour voir et en savoir plus : 
Visite de l'atelier Aout 2024, Entretiens téléphoniques septembre 2024
La revue de la céramique et du verre, numéros 8, 9, 13, 22, 25, 35
La revue de la céramique et du verre, numéros 8, 9, 13, 22, 25, 35
Share by: