Céramiste décorateur des années 50, Raphaël Giarrusso est surtout connu pour son bestiaire et ses personnages médiévaux grandeur nature, en céramique et fil de fer.
Fidèle à cette technique, Raphaël a su donner à son œuvre sculptée une continuité esthétique, une identité visuelle et une paternité reconnaissable de tous.
Teintée d’humour et de poésie, l'œuvre figurative résiste aux temps et aux effets de mode.
Le décor dans la peau.
Né en 1925 à Montréal (Canada) d’une famille italienne, le jeune Raphaël Giarrusso
est attiré par le dessin dès son plus jeune âge. Tout naturellement, il suit l’enseignement artistique de l’école des Beaux-Arts montréalaise.
Après un court séjour aux Etats-Unis chez un maître italien, pour expérimenter la fresque murale, il revient au Québec pour se consacrer à la peinture et au décor de théâtre.
Son talent graphique est primé et récompensé lors de l’exposition universitaire de 1948. En juin de cette même année, le journal canadien ‘La presse’ qui publie un de ses dessins, souligne l’harmonie des lignes du portrait féminin (photo ci-contre).
Raphaël bénéficie alors d’une bourse d’études : c’est le début de l’aventure transatlantique : direction Paris !
Au cours de la traversée, il rencontrera l'illustre Marc Chagall, dont l’œuvre folklore et poétique influencera son travail d'artiste.
Du cœur à l'ouvrage : peinture & dessin (1948-1953)
La vie de peintre dans le Paris de l'Après-Guerre est financièrement rude pour le jeune canadien. Aussi, après un bref passage dans quelques ateliers de peinture, Raphaël part à Accolay (Yonne) pour s’adonner au dessin et à la peinture figurative (paysage, portrait et animaux).
Parmi ses peintres expressionnistes préférés et inspirants, citons Picasso et Georges Rouault pour son dépouillement rigoureux dans les figures et les paysages.
L'aventure communautaire à la poterie d'Accolay (1953-1963)
En 1953, il rejoint la poterie d’Accolay
(Yonne), communauté fondée en 1945 par quatre anciens élèves (André Boutaud, Louis Dangon, Slavik Paley
et Rodet
(ou Raude selon les sources)) d’Alexandre Kostanda.
Depuis 1950, le succès de cette poterie était déjà au rendez-vous avec la distribution des céramiques dans les stations-services bordant la nationale 6 et dans les magasins d’exposition à Arcy-sur-Cure et Vermenton.
L’arrivée de Raphaël Giarrusso amène un nouvel élan créatif à la production d’Accolay, avec des formes audacieuses et modernes et des décors contemporains, rompant ainsi avec le style traditionnel de l'époque.
Les formes dites molles (ou biomorphiques) se marient de géométrie et d’anthropomorphisme. Le décor des pièces utilitaires fait référence à une nature généreuse peuplée de poissons et d’oiseaux et à l’histoire revisitée des civilisations médiévales et gréco-romaines.
La vie prend forme avec de petites figurines en céramique et fil de fer (alliage de nickel, chrome et aluminium).
Raphaël Giarrusso est probablement à l’origine de cette technique originale qui apporte poésie et humour aux personnages et au bestiaire. Il perfectionnera cette technique avec le jeuneGeorges Pelletier, arrivé à la poterie en 1956.
L’univers des sculptures en fil de fer d’Accolay est foisonnante de créatures sympathiques. Pour le règne animal, les bêtes de compagnie côtoient celles de la ferme, des forêts ou de la jungle.
Quant aux personnages, ce sont de valeureux mousquetaires, guerriers ou cavaliers.
L’art sacré est aussi représenté avec la crèche, les rois mages, les anges ….
Et les amateurs d’échec s’amusent encore avec les joyeuses pièces noires et blanches, réhaussées d'or.
A la poterie d'Accolay, Raphaël rencontre sa future épouse, la jeune stagiaire française Marie-Christine Meyranx, laquelle enseignera par la suite le français, le latin et le dessin.
Un duo créatif "Giarrusso – Pelletier" : l'atelier Rébeval (Paris 1964)
Résident près d’Accolay, à Vermenton, marié depuis 1957 et père de deux puis trois enfants, Raphaël Giarrusso quitte la poterie d’Accolay le 31 octobre1963. Il décide d’ouvrir son propre atelier au centre du village, près de la maison familiale.
En parallèle, il tente aussi l’aventure parisienne en 1964avec Georges Pelletier. Ensemble, ils ouvrent un atelier de céramique, 82 rue Rébeval
à Paris (19e arrondissement). Leur production commune composée d'imposantes pièces décoratives (plaques murales, lampes ajourées, personnages…) fonctionne sur une période deux années.
Naviguant à mi-temps entre Vermenton et Paris, Raphaël décide de quitter l’atelier parisien pour s’occuper pleinement de son atelier campagnard.
Les deux céramistes continueront séparément d'utiliser le fil de fer dans leur production céramique et ceci de manière distincte : Georges privilégiant les lampes ajourées et les décors rehaussés d'or et Raphaël les personnages et le bestiaire.
Une arche de création : l'atelier de Vermenton (1964-1986)
Dans son atelier à Vermenton, au 9 rue Guilbert Latour, Raphaël Giarrusso a produit une céramique de sculpteur de 1964 à 1986, avec un style qui lui est propre.
Fidèle à sa technique de céramique et de fer, Raphaël a su donner à son œuvre sculptée une continuité esthétique, une identité visuelle et une paternité reconnaissable de tous.
Le renouveau de l'art médiéval .
Dans les années 60-80, la thématique de l’art médiéval est repris par quelques céramistes renommés comme Jean Derval avec des sculptures antiques (guerriers, saints, sujets bibliques, scène mythologiques) , Albert Thiryavec des personnages-totem symboliques interrogeant la condition humaine ou encore Jean de Lespinasse avec des vases ornés de combats chevaleresques.
Raphaël Giarrusso s’est aventuré à rajeunir ce style ancien, en imaginant des figurines sympathiques en céramique et fer.
De l’art médiéval, il a retenu quelques éléments formels, comme l’attitude ou l’expression naïve et les a enrichi d’une dimension personnelle. Il a sculpté un univers mythique peuplé de personnages tout droit ressortis de l’époque moyenâgeuse. Sensible à la musique, il a dépeint divers sujets musiciens. Au fil des années, les costumes se parent de couleurs plus vives, s'éloignant ainsi des tendances de la mode du grès.
Jouant volontairement sur les échelles (certaines pièces mesurent plus 1m70), Raphaël a donné à ses individus une grandeur métaphorique anoblissante : ce sont des rois, des reines, des troubadours, des saltimbanques, des archers, des chevaliers aux airs lointains de folklore russe médiéval …
Bouclier à la main, lance dressée, le visage de l’homme, presque caricatural, est 'étonnement pacifiant', ce qui accentue le coté burlesque d'une éventuelle parade militaire.
En non conquérant et anti barbare sauvage, le guerrier est figé dans sa droiteure et sa droiture ! Difficile d'imaginer un lieu de conflit avec de si charmants personnages ! Bien au contraire, Raphaël Giarrusso les positionne en gardien bienveillant et bienfaisant, en 'veilleur d'âme'.
En teintant d’une naïveté humoristique cette fausse noblesse militaire, l'artiste nous questionnerait-t-il sur l’évolution de la morale médiévale à travers les siècles ?
Le bestiaire en contre-poids.
Bien que les personnages médiévaux soient un thème prédominant, le bestiaire enrichit le panel de l'univers imaginaire et amusant du céramiste.
Dans la céramique des Trente Glorieuses, représenter les animaux est aussi une manière de traduire le désir d’harmonie entre les hommes et la nature (voire pour certains, entre les hommes et Dieu à travers ses créatures). Le monde animalier de Giarrusso, surfant sur une légèreté comique voire magique, offre au spectateur autant qu’à l’artiste une échappée bien loin du monde réel de la société industrielle de l’Après-Guerre.
De la terre au ciel.
Raphaël a représenté les animaux en 3 D. Une part de son bestiaire est réservé aux oiseaux sculptés avec un réalisme caricatural en contre poids des croyances populaires.
C’est le cas de la chouette, si 'lumineuse' et bien-aimée de son royaume animalier.
Symbole de sagesse et d’intelligence, l'oiseau sacré d’Athéna pouvait voir au-delà du voile de la tromperie et de l’inconnu. Au Moyen Age, ami des sorcières et des mauvais esprits, ce volatil annonçait de sombres présages.
Depuis quePicassoa peint et modelé sa chouette Ubu dans l'atelierMadoura,l'animal est bien représenté dans la céramique des années 50, avec les sculptures d' Albert Diato, les pichets de Georges Jouve, les vases de François Raty
ou encore les photophores de Michel Anasse.
Quant à Raphaël Giarrusso, il métamorphose l'oiseau de nuit en une créature sympathique ou en un 'chouette' pied de lampe tout aussi joyeux.
Des plumes aux poils de la grotte : l'art pariétal revisité
Aux jacasseries des volatiles s'invitent les grognements de sangliers phacochères, de rhinocéros, de taureaux, des "mammouths" et des "aurochs".
Sortis des grottes préhistoriques, le regard naïf et étonné des bêtes rejoint avec humour celui des sujets moyenâgeux. Par le jeu des prunelles ébahies, la frontière du regard entre le monde humain et animalier devient floue.
De l'art médiéval à l'art pariétal, le regard étonné des sujets de Raphaël Giarrusso reflète la vision interrogative et existentielle de l'artiste sur la mutation standardisante et uniformalisante de la société du XXème siècle.
Allégorie à la nature sauvage originelle, naïve et non combative, l'œuvre humoristique renvoie au désir d'un monde apaisé, qui correspondait bien aux attentes et aux aspirations des témoins des guerres mondiales.
C'est en ce sens que le bestiaire de Giarrusso, au delà d'un clin d'œil à Dame Nature, fait contre-poids aux événements de son époque et s'inscrit avec pertinence dans la céramique des Trente Glorieuses.
Le succès de l'œuvre figurative : des Salons des AA à Roche-Bobois.
Pour pallier à la difficulté de vendre et de diffuser sa production à Vermenton, Raphaël Giarruso a exposé dans les années 60, au Salon des Ateliers d'Art, spécialiste de la céramique artisanale.
Ce salon professionnel (qui est aujourd'hui le salon 'Maison & Objet') permettait de rencontrer les magasins revendeurs et les galeristes. C'est ainsi que le travail de Giarrusso est remarqué par l'enseigne Roche-Bois qui a présenté à Paris pendant plusieurs années les céramiques du sculpteur et ceci en parallèle des galeries des régions avoisinantes de Vermenton (Auxerre, Vézelay, Laroche Migennes, Noyers, Avallon).
A savoir, dans les années 80, Raphaël a reçu des commandes de travail décoratif sur plaque de lave, qui ne seront pas signées selon les exigences du commanditaire M. Binet.
Les plaques de lave émaillée des années 80
A savoir, dans les années 80, Raphaël a reçu des commandes de travail décoratif sur plaque de lave, qui ne seront pas signées selon les exigences du commanditaire M. Binet.
Cette page se veut rendre un hommage à Raphaël Giarrusso et j'espère qu'elle permettra d'ouvrir une nouvelle porte sur son œuvre céramique et peinture, qui reste encore à découvrir.
Je remercie la famille Giarrusso, Vincent et Véronique pour leurs sympathiques échanges d'informations et le partage des photographies des archives familiales.
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Sources, pour voir et en savoir plus :
Entretiens avec Vincent Giarrusso Février 2024
Archives personnelles de la famille Giarrusso
Archives de la Fondation des Ateliers d'Art de Paris (organisation des salons AA)
Catalogue exposition, 'Et l'arche de Noé s'est invité à Saint Quentin la Poterie', avril 2023, musée de la Poterie Méditerranéenne, page 31.
Philippe Chambost, Pascal Marziano, Arnaud Serpollet - '70 ans d'expression céramique française' aux éditions les livres de l'îlot , 1ier décembre 2020, page 205.
Catalogue exposition, 'Les Trente Glorieuses', musée de la Poterie Méditerranéenne, avril 2020.
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