« La céramique semble attachée à l’architecture comme l’écorce à un arbre » écrivait Albert Vallet.
Et pour Frédéric Bourdiec, cette phrase prend tout son sens, mais l’arbre a aussi des racines dans la terre, qui lui confère sa singularité et sa force.
Ici, au pays des cigales, l’arbre de Frédéric est enraciné dans la plus vieille cité française, ‘Massalia’. C’est dans cette ville cosmopolite et multiculturelle, à Marseille que Frédéric est né en 1983, qu’il a grandi, qu’il vit avec sa famille et qu’il travaille avec fierté et passion.
Il y conçoit des luminaires d’architecture en céramique, faisant écho à l’urbanisation brutaliste et fonctionnaliste de sa ville !
Le parcours atypique d’un enfant de la cité phocéenne
Curieux et habile de ses mains, le jeune homme étudie l’électricité, puis il expérimente le bois et obtient son bac professionnel d’ébéniste.
Son regard sur le mobilier design le conduit à l’aménagement et l’habitat. Les quartiers de Marseille, qui regorgent de bâtiments modernistes, vont bousculer sa vision artistique et lui faire prendre conscience de la richesse ornementale qui l’entoure. C’est alors une évidence pour lui : ‘je serai architecte !’.
Et c’est tout naturellement qu’il obtient son master en architecture ENSA (Luminy), et qu’il intègre un cabinet marseillais.
En parallèle de ses études, Frédéric est friand du style des années 50-70. Il collectionne les lampes industrielles, la céramique, les revues et les ouvrages de cette époque. Sa passion pour la terre est venue avec les pièces de Georges Jouve, Roger Capron, André Borderie
ou encore André Aleth Masson, figures emblématiques du renouveau de la céramique d’après-guerre.
Seulement deux heures d’initiation au façonnage à la plaque suffisent à convaincre le jeune homme de 30 ans de jouer à l’apprenti sorcier pour créer ses propres formes géométriques et architecturées.
A temps plein : Architecte la semaine et céramiste la nuit et les week-ends
Dans son appartement, Frédéric aménage une pièce en bureau-atelier et au fond du jardin un four électrique pour ses luminaires brutalistes et minimalistes.
L’espace est restreint, ce qui impose rigueur, organisation et gestion du temps : ‘Le plus souvent, je fais des petits croquis chiffrés pour préparer la quantité optimale de terre à façonner. Je commence et je termine une lampe dans la journée ou tard dans la nuit. Je ne l’emballe pas pour y revenir plus tard, car je veux le même séchage pour l'ensemble de la pièce. Je modèle à la plaque. Mes outils sont simples, scalpel, règle et équerre. J’ai choisi le grès chamotté pour son grain, son élasticité et son épaisseur. J’évite d’utiliser l’émail qui par son effet vitrifié réfléchit la lumière, et il lisse trop le grain.’
Concernant la couleur, il confie : ‘au blanc, je préfère le gris, couleur béton du quartier de la Pomme où j’ai passé ma jeunesse. Alors, l’idée des grands ensembles, des barres d’immeubles, des blocs, ce n’est pas du hasard, c’est venu de l’intérieur.’
Fervent défenseur de l’architecture et du design moderne, Frédéric fait aussi référence aux influences de Alvar Aalto, André Bloc, Marcel Breuer
ou encore le sculpteur espagnol Eduardo Chillida.
Marseille, carrefour du bassin méditerranéen, ville rebelle, terre de caractère
Pour entrer dans l’univers des constructions lumineuses de Frédéric, plongeons-nous dans l’histoire de sa ville : à travers son port maritime, considéré au XVIIe siècle comme la ‘Porte de l’Orient’, Marseille fut et est toujours une ‘ville carrefour’ d’arrivée et de départ de commerçants, de voyageurs et de réfugiés fuyant les persécutions.
Dans les années 1940, le quartier du Vieux Port est peuplé d’immigrés dont les italiens fuyant le régime de Mussolini, d’opposants politiques, de syndicalistes, de communistes et de juifs. Avec l’arrivée des Allemands dans la cité en 1942, la Résistance s’organise. Pour le régime nazi, Marseille doit servir d’exemple : qualifié de criminel, le quartier du Panier (au nord du Vieux-Port) doit disparaitre : en janvier 1943 (les 22,23 et 24), c’est l’opération Sultan avec la rafle du Vieux Port (6000 hommes arrêtés) et l’évacuation de plus 20 000 personnes : 1500 immeubles seront détruits par dynamitage sur 14 hectares et 50 rues disparaitront, rayées à tout jamais de la carte. Le port sera aussi dévasté par les bombardements de 1944.
Au lendemain de la guerre, le mot d’ordre dans le pays est la reconstruction de l’habitat et de l’industrie. A Marseille, l’urgence est permanente : il faut loger les sinistrés de 1945, gérer la crise du logement avec l’effet Baby-Boom et l’arrivée massive des rapatriés d’Algérie (1962).
La priorité est la reconstruction du Vieux Port. S’en suivent les logements collectifs en périphérie de ville : les HBM
(Habitation Bon Marché) construits après la guerre de 14-18 sont remplacés par des quartiers d’habitation collectif, les HLM
(Habitation à Loyer Modéré). Du Nord au Sud, des barres d’immeubles ceinturent la ville (Quartiers Nord, la Rourvière, la Valentine, le Roy d’Espagne, …).
Dans le 8e arrondissement, les tours s’élèvent avec la cité Résidence
de André Devin
et Yvan Bent
(années 1950), Le Mermoz Rodocanachi
(années 60), l’immeuble Le Brasilia (1967) de Fernand Boukobza, surprenant avec sa façade courbe sans balcon, se dressant comme un rempart face à la ville, la tour du Grand Pavois
(1970) haute de 102 mètres , et bien-sûr la plus célèbre la Cité Radieuse
(1952) de Le Corbusier, appelée par les locaux ‘la Maison du Fada’.
L’industrie édifié est aussi de structure brutaliste comme le silo à blé de la Madrague, qui alimente la semoulerie et l’usine de fabrication de pâtes de Panzani. …
Dans l’ombre de Fernand Pouillon
et de Le Corbusier, c’est René Egger
qui a presque reconstruit à lui seul, le Marseille des Trente Glorieuses faisant ainsi entrer la ville dans une modernité, contestée par certains. Un gigantesque chantier avec plus de 150 écoles primaires, les facultés de la Timone, de Saint Jérôme, de l’école d’architecture et du campus de Luminy, l’hôpital Nord, le CHU de la Timone, ou encore l’extension de l’hôtel de police l’Evêché !
En sillonnant la ville, les réalisations fonctionnelles et modernes, presque industrielles voire minimalistes de René Egger sont les témoins de l’histoire du Marseille d’après-guerre.
C’est aussi le cas des sculptures lumineuses volontairement dépouillées de Frédéric Bourdiec qu'il nomme HBM, Superstructure
ou encore Vue sur Mer.
Dressées et fières, elles rendent hommage à la cité, à son tempérament ! Elles sont la mémoire architecturale moderne de la cité phocéenne, les gardiennes de l’histoire récente de Marseille.
Tel le phare du Panier, elles veillent sur le port et éclairent la ville comme la caresse du soleil couchant sur le Frioul.
Ah, la lumière de Marseille ! Celle du soleil à son zénith ou déclinant sur les vestiges fortifiés du port !
D’une blancheur parfois aveuglante, elle est en communion avec la nature calcaire des massifs montagneux qui enserrent la cité. Et, parole de marseillais, il y en a des montagnes où l'on pourrait se perdre : au nord les chaines de L’Estaque et de l’Etoile, à l’est le massif de Garlaban, au sud-est le mont Puget et le massif de Saint-Cyr, et au sud les collines de Marseilleveyre, ses calanques et ses falaises presque immaculées.
Est-ce pour cela que Frédéric imagine pour ses tables, un décor de plan de masse (vue du ciel) de sa ville ? Désir de cartographier, mémoire d’architecte ou clin d’œil aux rues du Panier disparues des cartes ?
Et cette lumière ? N’a-t-elle pas ensorcelée les plus grands peintres, Paul Cézanne, André Derain, Georges Braque, Raoul Dufy, … qui ont immortalisé sur leur toile la couleur du sud de l'Estaque ?
On comprend alors pourquoi, pour Frédéric, la lumière est un matériau à part entière, tout comme l’est la terre chamottée. Il conçoit ses constructions éclairantes en céramique comme une agora solaire, un espace de rencontre pour les rayons lumineux, qui déambulent dans le dédale de fenêtres.
Frédéric sait conjuguer ombre et lumière pour créer des ambiances tamisées suscitant l’émotion.
D’une sensibilité brutale et poétique , ses ‘canons à lumière’ véritables totems phocéens s’invitent dans l’intérieur urbain.
Pas étonnant qu’ils rayonnent Outre-Atlantique et que l’agence Studio Van Den Akker
les ait choisis pour illuminer des appartements à New-York, Los Angeles, Denver, Dallas et San Francisco !
Une œuvre structurale en pleine effervescence qui réserve de belles surprises à venir !
Conformément à l’article L122-5 du Code de propriété intellectuelle, la personne qui reproduit, copie ou publie le contenu protégé doit citer l’auteur et sa source.