ballacchino


Audrey Ballacchino (1986-)


Céramiste sculpteur française à Gigors-Lozeron.  

Audrey Ballacchino revisite la tradition populaire sicilienne par la céramique. Ses objets empruntent autant au registre funéraire qu'à l’art de table. 

Une œuvre millefeuilles à déguster sans modération !

Le temps presse ! Tous à Table !  

Des lettres à la terre.
Née en 1986 dans les Vosges, Audrey Ballacchino poursuit un master en lettres modernes à Nancy. Apres le professerat en français à Nancy en 2009, elle est libraire en Moselle, mais elle ressent le besoin de s’exprimer autrement et choisit la terre comme médium pour laisser parler ses mains. Elle suit alors la formation du CNiFOP (Saint Amand en Puisaye) de 2013 à 2015, obtient son diplôme de céramiste à la Maison de la Céramique de Dieulefit en 2016, et poursuit une formation spécialisée à la maison de la céramique en 2019 accompagnée par Marianne Castelly, Renaud Renier et Héloïse Bariole
Au fond de la vallée de Gervanne, dans un ancien bâtiment rural aménagé en atelier collectif à Gigors-Lozeron, Audrey sculpte la porcelaine. Dans cette nature encore sauvage et préservée du Vercors, ses mots s’articulent en forme et en couleur et dressent le couvert d’un banquet aux allures bacchanales. 
Autour de la thématique de la table, l’œuvre d’Audrey Ballacchino est un délicieux millefeuille de références dont la symbolique est liée à sa mythologie intime.

Terre de racines, terre d’héritage, terre de partage.
Issue de parents qui tirent tous deux leurs origines de l’immigration italienne, Audrey Ballacchino revisite l’art populaire sicilien par la céramique. 
« Mon père étant natif de Licata mais appartenant à la vague d'immigrés italiens qui a rompu le lien d'appartenance pour des raisons d'intégration dans le pays d'accueil, je suis issue de ces générations qui portent leur origine par des restes. Investir l'art populaire sicilien, c'est renouer avec une culture proche et loin qui s'est retrouvée instinctivement dans mes gestes et dans mes formes. C'est recycler un héritage en m'appuyant sur des figures typiques (pommes de pin, têtes maures, citrons, figues de barbaries, visages-bénitiers...) »
Audrey Ballacchino
audrey ballachino
Ile de refuge et de conquêtes, la Sicile est imprégnée des influences artistiques et culturelles laissées par les dominations grecques, romaines, normandes, espagnols, arabes, byzantines … 

Selon les légendes, les têtes de Maure représentent l’amour impossible entre une jeune sicilienne noble et un jeune soldat arabe. Découvrant que son amant était déjà marié et père dans son pays, la jeune femme décida lui trancher la tête la nuit précédant son retour au pays, et de l’utiliser pour planter du basilic, symbole de royauté et de passion. 

Quant à la pomme de pin, fruit de l’arbre à feuilles persistantes, ce dernier porte le message de chance et de prospérité et renvoie à l’éternité et à l’immortalité. 
Audrey Ballacchino
Audrey Ballacchino
En Sicile, le rapport aux morts est puissant avec de nombreux rituels. On raconte qu’à la Toussaint, l’âme du défunt retournerait chez lui les bras chargés de gâteaux, qu’il déposerait dans la ‘corbeille des morts’. Il est de coutume pour rappeler le mort à son bon souvenir, de déjeuner avec lui sur sa tombe, comme on déjeunerait à table. 
Ainsi, la table, lieu de convivialité et de partage du repas, célèbre aussi bien la vie que la mort. 

Le banquet : hymne à la vie à la mort.
Pour Audrey Ballacchino, « la table est le lieu de réunion où se jouent les tensions. ». 

Le buffet est volontairement de style rococo, avec une fantaisie des courbes et de dissymétrie, une profusion d’ornements aux teintes plutôt claires, un déluge de têtes, de fruits et de décors floraux sculptées. 
« Je compose la table comme un tableau connu, une carte postale. Une image est adressée depuis un autre temps, un autre lieu, chargée de référents usés pour venir réveiller nos mémoires. 
Dans la mienne, il y a l'histoire de la Sicile, du baroque populaire et à travers lui le rapport omniprésent à la mort et à la vie. Ensemble, la vie et la mort. 
Ici le culinaire et le funéraire se touchent à travers des objets aux fonctions matérielles et symboliques. » 
Et la mise en scène, qui renvoie aux peintures des natures mortes, a toute son importance. Pour cela, Audrey travaille en souvent en collaboration, avec son compagnon scénographe Olivier Brichet, la photographe Pascale Cholette, la couturière Isabelle Granier, et parfois avec Jérôme Martinez Corral
Audrey Ballacchino

Le banquet de l'abondance
Dans son Eldorado de la table, Audrey cuisine des cornes d’abondances, des œufriers, des colonnes et des cascades fruitières recouverts d’une généreuse crème fondante. 
Ici pas de viande faisandée, ni d’animaux morts. Juste une recette végétarienne assaisonnée d’une sauce dégoulinante sur des fruits saints, charnus aux rondeurs rose chair, jaune, rouille.
Les couleurs sont choisis pour leur signification. "Dans les symboles traditionnels que j'invoque en rapport à la nature morte, le citron évoque la résurrection de l'âme lorsqu'il est pelé, sinon l'abondance et la vitalité, la figue et le citron la fertilité... Tout cela parle d'abondance en somme, voir de spiritualité."
audrey ballacchino
Audrey Ballacchino
Mais comment maitriser son appétit et réfréner ses envies face l’opulence presque indécente ?  Comment oublier le premier souvenir du plaisir sucré ? 

Par le caractère végétarien et l’abondance théâtrale des banquets, Audrey interroge (in)volontairement la capacité de l’homme à gérer à ses besoins et ses envies au XXIe siècle. L’œuvre dénoncerait-elle l’orgueil et la décadence morale d’un modèle économique qui incite à produire plus pour plus consommer ?  

Le banquet de la fausse noblesse 
Dans une démarche créatrice respectueuse d’environnement, Audrey Ballacchino recycle ses propres produits en réutilisant de la porcelaine cassée. Nappée d’émaux voluptueux et glacés, sa porcelaine industrielle, ‘matériau du pauvre’, prend l’aspect d’une faïence populaire. Et l’or, si prestigieux dans les services de tables royaux, disparait au profit d’un blanc laiteux plus solennel.
Gourmande de couleurs et de formes végétales, l’accumulation foisonnante de nourriture pourrait donner l’illusion d’un banquet frugal aristocratique. Mais, ce luxe ostentatoire en un trompe l’œil est un leurre. Avec des 'matériaux pauvres', Audrey ne fait pas référence à la bourgeoisie mais revendique plutôt l'appartenance à un milieu populaire. Le banquet à la française est ainsi bouleversé par le jeu d'apparence : la tradition demeure mais ne semble résister ni à la pénurie, ni à la raréfaction de certaines ressources. 
Audrey Ballacchino
Et sur la table, pas de couverts en argent et ni d'assiettes !
Audrey a décidément le goût de la ‘farce’ en suggérant au curieux de savourer ses délicieux mets avec ses doigts. 
Mais, au fait, où sont passés les convives qui festoyaient en grande pompe ?
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La fête galante aurait-elle déjà touché à sa fin (faim) ? Serait-il déjà trop tard ? Le temps presse ... 

Le banquet des âmes voyageuses 
Audrey Ballacchino met les petits plats dans les grands en réunissant ensemble les objets de la table et ceux du cimetière. Couronnes, bouquets et candélabres fleurissent. La table se drape en autel pour chérir, choyer, accompagner et raccompagner ceux qui s’y invitent. 
Au final, restent seuls sur scène les ‘objets passeurs’ : « Ils sont des passeurs entre des espaces éloignés d'appétit et de répulsion. Ils questionnent les fonctions et les représentations. »
« Les fleurs me parlent de ma grand-mère. Elle adorait m'amener au cimetière. Ma grand-mère parlait ce langage des fleurs sans trop de mot, c'était en les déposant le moyen d'envoyer un message quelque part. Ce sont des roses ou des chrysanthèmes, des morceaux de corail, des symboles ou des débris organiques un peu flétris qui viennent nous raconter le temps. »
« Les arches sont des objets empruntés à la tradition sicilienne. Il marquent le passage. Ce sont des sortes de portes. Ces objets sont souvent offerts dans des moments de transition, à la naissance ou à la mort d'une personne, mais une vie propose son tas d'expérience diverses où les transformations opèrent ! »
Audrey Ballacchino
Audrey Ballacchino
« Les urnes servaient initialement à puiser l'eau comme simple récipient. Elles deviennent funéraires par la fonction cinéraire (fonction de conservation des cendres d'un mort) mais elles peuvent rester vides. Alors elles se chargent d'accueillir les mythes et les symboles.
Certains disent qu'elles contiennent les larmes versées, d'autres les parfums; ces urnes sont libres d'accueillir ce que nous avons besoin de contenir à l'abri.
Manière d'inclure dans son lieu de vie un vestige, une mémoire, un imaginaire, mais de le-la localiser, de l'épousseter, de l'ouvrir à souhait. La boîte est un espace de projection dynamique. On peut faire un geste minuscule et par lui déplier un monde invisible. »
Audrey Ballacchino
Audrey Ballacchino

Le dernier festin.
Avec une mise en scène orchestrée de natures mortes et de symboles de vanité, la céramique d’Audrey Ballacchino contient le temps. Allégorie au temps qui passe, les fruits juteux se décomposent, les fleurs se fanent … 
Autant de signes de fragilité et de vulnérabilité qui illustrent l’inéluctable finitude de la vie. Son œuvre est à la fois un voyage dans le temps et l’espace où toutes les civilisations se retrouvent et se racontent autour de la table. 

Le temps presse !  Alors, Tous à table ! 

Une œuvre sculpturale en pleine effervescence, à consommer sans modération !

Expositions - Prix et Récompenses

2024
  • Table au crépuscule, Galerie Bikini, Lyon
  • Retrouvailles, galerie La taille de mon âme, Lyon
  • Restes et reliques, projet collectif Grands ensemble, exposition itinérante
  • Table au crépuscule, Ceramic Brussels, Bruxelles
  • Lauréate Céramic Brussels
2023
  • Nouvelles, parcours d'art contemporain, Sillon
  • Molyshop, avec Moly Sabata, Art-o-rama: salon d'art contemporain, Marseille
  • Ensemble, galerie Craft, Dieulefit
  • Tabuler, initiative « cas contact » collège Marcel Pagnol, Lyon
  • Bouquet Final, exposition personnelle, galerie NeC, Paris 3éme
  • Prix de céramique de petite forme, BeCraft (Belgique), L’Inventaire (artothèque de Lille), Louvres-Lens
2022
  • Cousinade, galerie Chapelle 14, Paris
  • Parcours d’architecture, Toulouse, Albi, Tarbes
  • Un geste qui raconte, galerie Phare, Gard
  • Prix de céramique de petite forme, école d’art, Douai
  • Terres Actuelles, biennale de céramique contemporaine, Chantemerles-les-Grignan
  • Mourir peut attendre, galerie Terra Viva, Saint-Quentin la Poterie
  • Brut Délicat, Galerie Nous, Paris
  • Cinq ans, Maison de la Céramique, Dieulefit
2021
  • Table, galerie Officine Saffi, Milan
  • Banquet, galerie Tearose, Milan
  • Plats du jour, école céramique IEAC, Guebwiller
  • Tasses, Couvent de Treigny, Treigny
  • Salon de céramique contemporaine Saint-Sulpice, Paris
  • prix résidence Este Ceramiche, concours international Officine Saffi, Milan
  • -2ème prix, concours de la jeune céramique européenne, Saint-Quentin-la-Poterie Collections
  • Musée de la Piscine Roubaix
2020
  • Jusqu’à Licata, exposition personnelle, galerie du Fil Rouge, Roubaix
  • Emergence, biennale de Design, CND Pantin, Paris
  • Salon de céramique contemporaine Saint-Sulpice, Paris
2018-2019
  • Terralha, parcours de céramique contemporaine, Saint-Quentin-la-Poterie

Je remercie Audrey Ballacchino pour son sympathique accueil et pour le partage des photographies.

Texte © Christine Lavenu  09/04/2024,  Photographies © Audrey Ballacchino
Conformément à l’article L122-5 du Code de propriété intellectuelle, la personne qui reproduit, copie ou publie le contenu protégé doit citer l’auteur et sa source.

Sources, pour voir et en savoir plus : 
Entretien avec Audrey Ballacchino, 5 mars 2024
La revue de la céramique et du verre mai juin 2020, numéro 232
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